Mémoire des nuits (1989)

soprano, mezzo-soprano, choeur à voix égales de femmes, quintette à vent
Commande de la Maison de la Culture de St Etienne

création par Le Concert Impromptu et l’ensemble vocal Contrechant dirigés par Luc Denoux au Théâtre de Chalon-sur-Saône (27 Janvier 1989) et à la Maison de la Culture de Saint-Etienne (30 Janvier 1989).

partition : pdf sur demande au compositeur

  1. Enregistrement (16/04/2013) :

Extrait de la partition : mémoire des nuits

Présentation :
C’est au poète de l’incantation, de l’illumination amoureuse que fait écho Mémoire des nuits. Les extraits de Défense de savoir, L’amour, la poésie, sont choisis pour les thèmes, les évocations qu’ils expriment  : la nuit, le regard, l’absence, le silence, le miroir…
A partir de cette trame s’élabore déjà un travail musical de correspondances sonores et de polyphonies induites. Les poèmes, utilisés intégralement ou par fragments, réfléchissent leur image comme dans des miroirs.
Le rythme et la musicalité de la poésie d’Eluard constituent en eux-mêmes une structure musicale, alliance de mélodies de mots et d’idées. La musique veut se mettre au service du poème  ; elle ne cherche qu’à exprimer, amplifier la mélodie sous-jacente.

Dans Mémoire des nuits, parlé et chanté coexistent et se rencontrent  : libre évolution de la musicalité des mots en rapport avec lignes, courbes, timbres vocaux et instrumentaux. Les thèmes obsessionnels provoquent la polyphonie en résonances sémantiques et sonores.
Le texte se partage entre le choeur de femmes, divisé en groupes de nombre variable, les voix solistes et les interventions parlées des instrumentistes. Le jeu des combinaisons thématiques qui se crée entre groupes et protagonistes induit de lui-même une théâtralité.
Chaque voix, chaque groupe, se définit par un mode d’écriture et d’expression spécifique  :  ornementation, incises mélodiques, intervalles de prédilection, harmonie, couleur vocale…
L’écriture s’appuie sur la diversité des rapports entre les voix  : depuis la monodie, qui laisse s’échapper toute la clarté du texte, jusqu’à une polyphonie dense dans laquelle l’auditeur suit un fil conducteur à multiples résonances, où il fait son choix d’imaginaire…
Les instruments, outre leur rôle conducteur et structurel, tendent à être à la voix ce que le chant est au poème  ; agir en alliance avec elle comme porteurs et révélateurs  : tour à tour enveloppe harmonique, coloration  des mots, amplifications ornementales… Leur champ d’évolution, volontairement réduit et qui n’éclatera qu’à la fin, est l’image des voix égales, ensemble homogène de registre où le grave est absent.

textes  de l’oeuvre : L’amour, la poésie (1929) Paul Eluard

Premièrement (XXI, XXVI), Seconde nature (II,III), Défense de savoir I (I,IV, VI),  Défense de savoir II (IV, V)

La nuit, les yeux les plus confiants nient
Jusqu’à l’épuisement  :
La nuit sans une paille,
Le regard fixe dans une solitude d’encre.

Nos yeux se renvoient la lumière
Et la lumière le silence
À ne plus se reconnaître
À survivre à l’absence.

La solitude l’absence
Et ses coups de lumière
Et ses balances
N’avoir rien vu rien compris

La solitude le silence
Plus émouvant
Au crépuscule de la peur
Que le premier contact des larmes

L’ignorance l’innocence
La plus cachée
La plus vivante
Qui met la mort au monde.

Toutes les larmes sans raison
Toute la nuit dans ton miroir
La vie du plancher au plafond
Tu doutes de la terre et de ta tête
Dehors tout est mortel
Tu vivras de la vie d’ici
Et de l’espace misérable
Qui répond à tes gestes
Qui placarde tes mots
Sur un mur incompréhensible

Et qui donc pense à ton visage  ?

Il fait toujours nuit quand je dors,
Nuit supposée, imaginaire
Qui ternit au réveil toutes les transparences.
La nuit use mes yeux que je délivre
N’ont jamais rien trouvé à leur puissance.

Les espoirs, les désespoirs sont effacés,
Les règnes abolis, les tourments, les tourmentes
Se coiffent de mépris,
Les astres sont dans l’eau, la beauté n’a plus d’ombres,
Tous les yeux se font face et des regards égaux
Partagent la merveille d’être en dehors du temps.

Ce que je te dis ne me change pas,
Je ne vais pas du plus grand au plus petit.
Regarde-moi :
La perspective ne joue pas pour moi.
Je tiens ma place
Et tu ne peux pas t’en éloigner.

Il n’y a plus rien autour de moi
Et, si je me détourne, rien est à deux faces :
Rien et moi.

Ma présence n’est pas ici.
Je suis habillé de moi-même
Il n’y a pas de planète qui tienne
La clarté existe sans moi.

Née de ma main sur mes yeux
Et me détournant de ma voie
L’ombre m’empêche de marcher
Sur ma couronne d’univers,
Dans le grand miroir habitable,
Miroir brisé, mouvant, inverse
Où l’habitude et la surprise
Créent l’ennui à tour de rôle.